Karoo

Steve Tesich. Parut en 1998, deux ans après son décès. Edition Monsieur Toussaint Louverture.

Ce roman est remarquable à plus d’un titre. Là encore, la toile de fond est une Amérique désenchantée où Saul Karoo, un script doctor, évolue entre les appartements chics de New York et les suites d’hôtels de los Angeles.  Le script doctor  est une pièce indispensable de l’industrie cinématographique hollywodienne. Résumé par le narrateur, voici quel est son job : « Je suis un rouage modeste mais assez opérationnel de l’industrie du cinéma. Je reprends des scénarios écrits par d’autres. Je réécris. Je coupe et je polis. Je coupe ce qui est en trop. Je polis ce qui reste. Je suis un écrivaillon doté d’une plume qui a fini par être considéré comme un talent. Les gens qui vivent à Los Angeles et qui font un boulot similaire au mien, on les appelle les « nègres d’Hollywood ». L’expression « nègre de New York », mystérieusement, n’existe pas. À New York, le nègre, on l’appelle doc. »

Le talent de Saul karoo réside dans son absence absolue d’état d’âme pour caviarder, dénaturer et rendre conforme un texte au standard d’uniformisation des producteurs. Pour les auteurs, il n’est évidemment qu’un vendu abject et amoral.

Le roman s’ouvre sur un drame : Saul Karoo s’aperçoit qu’il n’arrive plus à se souler, qu’il ne ressent plus la moindre bribe d’ivresse malgré les quantités extravagantes d’alcool qu’il ingurgite. Il reste désespérément sobre et c’est un désastre pour lui dont  l’alcoolisme notoire fait office de carte de visite. Alors, pour ne pas décevoir son « auditoire » et coller à l’image que les autres ont de lui, il simule l’ébriété.

Pour permettre que son divorce ait lieu, il décide de conserver son personnage :« Je n’ai pas besoin de ce verre. Ce dont j’ai besoin, c’est d’être ivre, mais puisque je ne peux plus l’être, cela ne devrait pas poser de problème de ne plus boire du tout. Même si je n’aime plus Dianah, je n’ai pas le cœur de la faire souffrir. Et elle souffrirait si j’arrêtais de boire. Elle a investi tant de temps et d’énergie à populariser le mythe selon lequel mon alcoolisme était le grand responsable de l’échec de notre mariage que cesser de boire maintenant passerait presque pour un geste d’hostilité. Que je montre la moindre amélioration dans ma vie depuis l’échec de notre union friserait la méchanceté. (…) Je sais donc que la meilleure chose que je puisse faire pour elle, c’est soutenir le mythe selon lequel je suis un alcoolique invétéré. Je me dis que je lui dois au moins ça. »

Là encore, et comme les romans précédemment présentés, c’est la somme des défauts du personnage qui suscite un mélange d’empathie et d’hilarité, de moquerie et de compassion. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un drame, de la chute vertigineuse et implacable d’un homme qui tente  de se racheter. Une prouesse littéraire comme on dit dans les blurbs qui accompagnent les bests sellers.

Une réflexion au sujet de « Karoo »

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